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Faire la ville : le rôle des collectifs autonomes

dans l'invention d'un nouvel en-commun

(Séminaire de recherche à Paris 8 - Saint-Denis)
le vendredi 22 et le samedi 23 septembre 2017 à Saint-Denis

 

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Primitivi participera à un atelier l'après-midi du vendredi 22 septembre pour discuter de notre expérience autour de la Bataille de la Plaine.

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Notre intention est de formuler les questionnements précis qui se posent à nous à travers cette tentative collective de réaliser un film au long cours, entre fiction et réalité, en lien avec la lutte des habitants et habitués de la Plaine contre le projet de "requalification" de la place.

 

 

Suit la présentation d'une séminaire faite pas Pascal Nicolas-Le strat sur le blog comme-une-ville.net :

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Résumé

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Le projet vise à co-élaborer un séminaire de recherche avec des « collectifs autonomes » engagés sur les territoires de la Seine-Saint-Denis. Ces collectifs, eux aussi, fabriquent la ville contemporaine. Leurs contributions ne sont pas suffisamment connues et reconnues. Ils sont porteurs d’un nouvel idéal du « commun » et défendent une conception de la ville plus égalitaire et démocratique – une ville qui s’expérimente et s’invente en commun. Ces « collectifs autonomes » sont implantés dans les territoires et agissent au plus près des expériences de vie. Ils explorent de nouvelles manières de penser et de vivre la ville, une ville faite en commun pour faire commun. Ils se décalent par rapport aux institutions dominantes et explorent des langages, des imaginaires, des pratiques en rupture en regard des normes habituelles de la décision publique et des politiques urbaines. Ces expériences minoritaires sont porteuses d’une riche connaissance de la ville contemporaines et de ses devenirs. Le séminaire a donc pour objectif de co-produire un questionnement avec ces collectifs, de le faire avec eux et pour eux, avec la volonté de faciliter les échanges de savoirs et d’expériences entre ces collectifs, mais aussi de créer les conditions d’une intercompréhension plus égalitaire avec les autres acteurs, plus institutionnels, de la ville.

Notre projet propose d’associer des chercheurs et des acteurs / initiateurs de « collectifs autonomes » dans une réflexion commune sur la façon de faire la ville, dans ses dimensions politique, sensible, sociale ou encore esthétique, hors des cadres strictement institués par les politiques publiques urbaines. De nombreuses initiatives collectives sont prises sur les territoires de la Seine-Saint-Denis qui contribuent significativement au développement d’un « en-commun », mais ces différentes expérimentations sont insuffisamment connues et reconnues. Elles représentent un des « textes cachés » de la ville, pour reprendre une formulation de James C. Scott (La domination et les arts de la résistance – Fragments du discours subalterne, 2008). Ces collectifs autonomes créent des espaces d’activité et de réflexion à l’abri ou à distance des « textes officiels », à savoir les expertises portées par les institutions et les règles / normes inhérentes à l’intervention publique (les référentiels de politique publique). Ces espaces protégés autorisent une relative liberté discursive et contribuent à une créativité des pratiques. Ce sont à la fois des espaces de résistance et des espaces d’innovation. Ces expérimentations sont diverses quant à leur objet et quant à leurs méthodes mais elles convergent dans un souci de préserver une autonomie. Cette dernière ne signifie nullement que ces collectifs ont rompu toute relation avec les institutions établies ; par contre leur autonomie revendiquée leur permet d’interagir avec les décideurs publics dans des termes inhabituels, selon un texte qui n’est pas écrit d’avance. Cette dynamique autonome présente sur les territoires « perturbe » les formes instituées de la délégation politique, quasiment au sens interactionniste du terme (cf. Harold Garfinkel et sa pratique du breaching). Cet art de « faire distance » dans le rapport aux institutions pour, souvent, interagir d’autant mieux avec elles, sera une des questions majeures à explorer dans notre projet.

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Notre projet poursuit trois pistes de questionnement.

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a) La première porte sur la façon dont ces collectifs parviennent à faire commun. En prenant quelles dispositions ? En instaurant quels dispositifs ? Qu’est-ce que ces collectifs mutualisent ? Des pratiques, des idées et des idéaux, des savoir-faire ? Comment ces ressources communes sont-elle administrées ? Au fond, il s’agit de s’interroger sur le modèle démocratique mis en œuvre dans le cadre des ces expériences, tout à la fois pour organiser la prise de parole et la décision et pour structurer l’activité.

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b) Notre deuxième piste de questionnement concerne l’écologie spécifique à ce type d’expérience. Comment ces collectifs interagissent-ils avec leur territoire d’implantation ou d’appartenance ? Comment se rapportent-ils à leur environnement (le quartier, les institutions, les autres acteurs collectifs) ? Comment se nouent les liens de voisinage et de convivialité ? Comment se négocient les relations avec les institutions actives dans le territoire concerné ? Cette écologie est donc à réfléchir sur l’ensemble des échelles de la ville.

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c) Enfin, notre troisième piste de questionnement porte sur la capacité ou non de ces collectifs à se rapporter les uns aux autres et à établir entre eux des liens horizontaux (latéraux et transversaux). Si des effets réseaux peuvent être caractérisés, alors qu’est-ce qui circule entre ces expériences ? De la reconnaissance et de la considération, que les décideurs publics n’accordent pas spontanément, des savoirs et savoir-faire « autres », alternatifs à ceux véhiculés par les institutions, des imaginaires (de la ville) et des langages en décalage ou en rupture avec les représentations majoritaires ou dominantes ? Qu’est-ce qui s’échange ? Des solidarités (coups de main, soutien, alliance vis-à-vis des institutions), des expertises (dans une logique open source et une sensibilité makers), des ressources matérielles (prêt de machines et d’outils, appui bénévole lors d’une initiative) ?

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La finalité principale de notre projet est bien de contribuer à un effort d’interconnaissance de ces expériences, souvent peu connues et peu reconnues et, ainsi, de participer à l’écriture d’un autre « texte » de la ville contemporaine.

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Notre projet relève principalement d’une sociologie du pouvoir d’agir et d’un agir qui s’affirme par l’élaboration et l’instauration de « communs ».

Nous formulons l’hypothèse que la ville peut (aussi) se penser, se vivre et se fabriquer sous la forme d’un « travail du commun », à savoir la capacité des collectifs de citoyens et d’habitants à agir en commun dans une visée de transformation de leurs conditions de vie et à co-concevoir les « communs » indispensables à leur vivre ensemble. Ces ressources communes sont de nature très différente ; elles peuvent concerner des biens communs de la connaissance (réseaux d’échange de savoirs), des modes de socialité (voisinage, solidarité de proximité, expérience de santé communautaire), des ateliers collaboratifs (fabrication en open source, réparation), des espaces et des lieux propices aux rencontres et aux échanges, facilitant la vie démocratique.

Les politiques publiques ont multiplié les modes d’agir sur / avec les individus (contrat et projet d’insertion, démarche participative qui sollicite fréquemment le citoyen pris isolément…) et sur / avec les territoires (développement social local, démocratie de quartier…) mais fort peu sur / avec les acteurs collectifs des territoires, les expérimentations qu’ils engagent et les « communs » qu’ils font exister. La densité vécue et expérimentée de la ville est trop souvent l’impensé de ces politiques. Ce qui fait trame, tissage, texture de la ville (sa matrice collective) est insuffisamment pris en compte et valorisé.

Comme le souligne David Bollier (La renaissance des communs – Pour une société de coopération et de partage, 2014), un commun, c’est une ressource, plus une communauté concernée (ce que nous nommons, dans notre projet, des collectifs autonomes), plus un projet démocratique pour instituer ce commun et l’administrer.

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Penser la ville dans les termes du commun, c’est donc imaginer de nouvelles pratiques démocratiques qui recouvrent deux dynamiques : d’une part, un processus qui nous engage dans la voie d’une démocratie participative avec la possibilité pour chacun de prendre la parole à propos de ses conditions d’existence et de toute question qui le concerne (Les personnes prennent part au débat public à partir de ce qu’elles vivent, de ce qu’elles ressentent et de ce qu’elles pensent) ; d’autre part, un processus qui nous conduit vers une démocratie contributive qui s’appuie sur la volonté de chacun de s’exprimer à partir de ce qu’il expérimente, crée et produit avec d’autres au sein de la ville (Les personnes prennent part au débat public sur la base des expérimentations qu’elles développent, sur la base de leur contribution à la vie commune, que cette contribution soit de nature sociale, esthétique, urbaine, environnementale, conviviale, éducative…). Cette démocratie participative préserve l’expression singulière que chacun porte en lui, à la fois sur un mode individuel et sur un mode collectif (une démocratie des singularités de vie et d’activité) ; cette démocratie contributive assure la prise en considération des expérimentations développées au sein de la ville (une démocratie des projets et des expériences, des communautés de pratiques et d’usages).

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L’hypothèse forte qui sous-tend notre projet est que cette fabrication de la ville sous le signe du « commun » est dès à présent engagée, même si ces processus sont méconnus (par les décideurs publics) et insuffisamment considérés. De nombreux collectifs sont au travail sur ce plan ; ils expérimentent et explorent des possibles, malgré l’indifférence ou la méfiance qu’ils rencontrent bien souvent. Notre objectif est donc de contribuer à expliciter, documenter et valoriser ces processus et de le faire évidemment en étroite coopération avec les collectifs concernés.

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Enfin, la dynamique de ces collectifs autonomes ouvre une nouvelle hypothèse concernant l’engagement critique dans la ville. Il ne relève plus uniquement d’une mobilisation des citoyens autour de revendications et d’aspirations adressées aux institutions établies. Cet engagement critique prend de plus en plus souvent la voie d’une expérimentation, d’un « faire », d’une réalisation – une critique par le faire (cf. Michel Lallement, L’âge du faire – Hacking, travail, anarchie, 2015).

Parler d’expérimentation à propos de ces pratiques ne signifie pas que leur destin est de rester ponctuelles, qu’elles demeureront forcément exceptionnelles et qu’elles ont donc vocation à faire exemple sans s’inscrire dans la durée ni structurer la vie sociale. L’expérimentation peut tout à fait s’instituer comme la manière commune de penser et fabriquer la ville. Il s’agit là d’un objectif majeur du séminaire conclusif que nous prévoyons dans notre proposition.

Notre projet s’inscrit résolument dans les débats scientifiques contemporains sur les biens communs et la construction des nouveaux « communs ». Dans ce débat, nous retenons trois hypothèses fortes :

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– La production de ressources communes et de biens communs est indissociable de leur administration démocratique, d’où l’importance pour nous d’explorer les expériences contemporaines de démocratie radicale et de micro-politiques émancipatrices des groupes (cf. David Vercauteren, Micropolitiques des groupes – Pour une écologie des pratiques collectives, Les Prairies ordinaires, rééd. 2011). Commun vient nommer des biens et services inappropriables, et donc disponibles pour l’usage de tous dans un cadre démocratiquement établi, et il désigne concomitamment un mode de gouvernalité approprié à cette gestion démocratique. Donc, quand nous nous intéressons aux « collectifs autonomes », nous prenons en compte tout à la fois ce qu’ils produisent de commun (savoirs, langages, imaginaires, fabrications…) et la façon dont ils le constituent en commun (autogestion, égalité, démocratie radicale).

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– Une recherche sur le commun ne peut être conduite, à nos yeux, que sous la forme d’une recherche collaborative (critique et contributive), que sous la forme d’une recherche conçue et conduite « en commun » avec les acteurs concernés. Les analyses et connaissances, les écrits et les paroles qui seront formulées dans notre projet relèveront, eux aussi, d’évidence, d’un commun (ils seront co-produits avec les collectifs et donc librement (re)mobilisables par eux, et par d’autres acteurs). Les recherches sur le commun supposent de formuler une épistémopolitique appropriée.

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– Enfin, les recherches sur le commun ne sont pas l’apanage des seuls chercheurs. L’ouvrage récent Constellations – Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle, du collectif Mauvaise Troupe (éd. de l’éclat, 2014) prouve la haute exigence d’élaboration conceptuelle et méthodologique propre à ces collectifs autonomes dont, souvent, la grande majorité des membres est titulaire d’une qualification universitaire. L’expérience de praticiens-chercheurs, acquise par plusieurs initiateurs de notre projet, sera profitable à la mise en œuvre de cette épistémopolitique fondée sur la coopération et attentive aux pratiques minoritaires.

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L’apport de notre proposition se joue donc à deux niveaux. D’une part, nous souhaitons explorer comment une approche par le « commun » réinterroge la façon de fabriquer la ville aujourd’hui. D’autre part, nous pensons que des expériences de « communs » sont dés à présent développées grâce à la contribution de nombreux collectifs autonomes. Ces expériences mettent à l’épreuve (de la pratique, des réalités vécues) les thèses et théories du « commun » et sont donc d’un apport essentiel pour le développement de la recherche en ce domaine.

 

 

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